Quand l’histoire se fait Légende

 

Au début du XVIIe siècle, à l'instar de l'affaire Gilles de Rais en France au siècle précédent, un événement frappe les imaginations dans ce pays très superstitieux qu'est la Hongrie ; c'est le procès, en 1611, de la comtesse Erzsébet Bathory. Celle-ci est accusée d'avoir fait enlever et saigner comme des animaux de boucherie de malheureuses jeunes filles qui habitaient dans les villages aux alentours de son château de Csejthe , situé au sommet d'une colline dans la région montagneuse de la Hongrie proche des Carpates. Selon les chroniques de l'époque, le nombre de ses victimes se situait entre quatre vingt et trois cents, voire même six cent cinquante ! La vérité se situe probablement plus près du second chiffre

Comme dans le cas de Gilles de Rais, le mythe se substitua à la réalité donnant ici naissance à la légende de « la Dame sanglante de Csejthe »

 

1)L’histoire

 

Elisabeth naquit le 7 août 1560, dans une famille de la haute noblesse hongroise, mais au passé et à l'histoire relativement mystérieux. En effet, plusieurs de ses parents étaient connus pour être des brutes sanguinaires, une de ses tantes aurait déshonoré une dizaine de petites filles, sa propre nourrice pratiquait la magie noire, et d'étranges sortilèges, ce qui eut une grande influence sur la jeune Elisabeth

Elevée dans cette atmosphère faite de magie et de traditions ancestrales, la jeune fille solitaire, devient victime de maux de tête très violents, et de crises d'hystérie.

Juste après sa puberté, à 14 ans, alors qu'elle était fiancée au Comte Férencz Nàdasdy, Elisabeth serait tombée enceinte d'un paysan. Sa belle-mère, Orsolya Nàdasdy, craignant la rupture des fiançailles, emmena la jeune Elisabeth dans son château, en Transylvanie. C'est dans ce château que la future Comtesse eut une fille, l'enfant fut confiée à une amie d'Orsolya Nàdasdy.

Elisabeth épousa le Comte Férencz Nàdasdy le 8 mai 1575. Les époux passèrent leur lune de miel dans le château de Csejthe, dans le district de Nyitra, région célèbre pour son vin, mais également pour ses châteaux hantés, ses légendes de vampires, de fantômes, et de loup-garou.

Le séjour du Comte fût assez bref, il dut repartir combattre les turcs. On raconte alors qu'elle eut de nombreuses relations amoureuses dont une avec son cousin, le comte Gyorgy Thurzo.

 

Les faits:

Un étrange visiteur :

Lorsque son mari était absent, les habitants savaient que Elisabeth rendait visite à des magiciennes ou des sorcières, le plus souvent dans la forêt, pour l'initier à la magie noire. En 1586 ou 1587, alors que le Comte était une fois de plus absent, un mystérieux jeune homme, au teint pâle, les cheveux et les yeux noirs, nommé Cadevrius Lecorpus, rendit visite à la Comtesse dans son château. Son allure effraya les servantes, qui décrivirent le visiteur aux villageois. Dès lors, personne ne se coucha sans avoir auparavant barricadé sa maison, dans la peur de voir revenir le "serviteur du Diable" qu'avait invité la Comtesse.

Depuis cette visite, Elisabeth avait changé. En effet, elle resta enfermée pendant plusieurs jours. Par la suite, elle devint très violente, elle frappa sa victime avec violence, et ce jusqu'à sa mort.Tout le monde, y compris son mari, était au courant des traitements qu'elle faisait subir à ses servantes, mais ce -dernier considérait cela comme un jeu.

 

Fascination pour le sang :

Après la mort du Comte, en 1604, Elisabeth découvrit les soi-disant propriétés du sang : en effet, après avoir frappé pour une énième fois une servante, un peu de sang tomba sur son poignet. Or, quelques jours plus tard, Elisabeth crut remarquer que sa peau était plus douce et plus blanche à cet endroit qu'ailleurs. Elle mena quelques "expériences", qui confirmèrent sa théorie.

Depuis bien longtemps, la Comtesse était obsédée par sa beauté, et sa plus grande crainte était de vieillir laide. Elle était prête à tout pour rester jeune belle, et sa curiosité pour la magie noire n'arrangea pas les choses...

 

 

 

Des plaisirs sadiques :

A partir de cette découverte, Elisabeth commença à tuer ses servantes pour utiliser leur sang. Aidée en cela par un homme à tout faire : Ujvari Jano et trois femmes (inspiratrices du personnage de « L’AUTRE »), Katalin Beniezky, une servante, Jo Ilona, sa nourrice et Dorrotya Szentes, surnommée Dorko, ses principales alliées. Leur rôle était de rechercher les nouvelles victimes, récupérer leur sang, enterrer les cadavres et payer les familles...

La Comtesse faisait appel également aux services d’une sorcière, Darvulia Anna, qui utilisait incantations sataniques, et magies noires.

Une fois les futures victimes repérées, ses comparses séduisaient les jeunes filles, en leur promettant une vie meilleure, des bijoux, robes.... Une fois prises au piège, les supplices infligés aux jeunes femmes étaient terribles : leur cou était percé, et les cordes qui les maintenaient étaient serrées jusqu'à ce que leurs veines soient percées et que le sang jaillissent. On raconte même que la Comtesse se baignait dans leur sang.

 

Le procès et ses conséquences :

Malgré de grandes précautions, des rumeurs commencèrent à courir sur les agissements de la Comtesse. Le 29 septembre 1610, la Comtesse Elisabeth est arrêtée et enfermée dans son château, ainsi que ses quatre complices. La sinistre Darvulia Anna s'enfuit et mourut peu avant le procès. Les quatre autres furent jugés et exécutés.

Elisabeth ne chercha jamais à nier les faits, ni à se défendre. Elle fut condamnée à être emmurée dans sa chambre. La porte et les fenêtre furent entièrement obstruées, à l'exception d'une fente pratiquée pour le passage de la nourriture. Elisabeth accepta la condamnation et se laissa enfermer sans un mot ou un signe de résistance.

 

La Légende

Elisabeth mourut à 54 ans, âge très avancé pour l'époque. Selon les légendes, elle était restée toujours aussi jeune et belle.

Depuis ces sinistres évènements, le château de Csejthe est considéré comme hanté, non seulement par les victimes d'Elisabeth, mais par la Comtesse Sanglante elle-même,qui continuerait d'assassiner des jeunes femmes.

On dit même qu’elle serait un vampire... l’histoire pourrait donner raison à ses allégations, ne descend-elle pas d’une bien sinistre famille qui comptait parmi les siens un certain Vlad Drakul : Dracula !

 

2) Notes d'intention de l'auteur

 

Jusqu’à quelles dérives les injonctions paradoxales d’une société schizophrène peuvent-elles mener un individu ?

Sommes-nous la résultante de nos choix et de nos actes ou ne sommes-nous que le produit des éléments extérieurs qui concourent à notre construction ?

Dans la relation à l’autre, quelle part de l’autre est en soi ?

Ne se définit-on que par rapport à l’autre ?

La folie meurtrière d’Erzebeth de Bathory grandit quand elle rencontrera celle qui deviendra sa complice.

Comtesse isolée, abandonnée par son mari au cœur des montagnes des Carpates, Erzebeth possède un pouvoir unique.

Quelles en sont les limites ?

Qui peut lui imposer son champ d’action ?

Certainement pas les hommes de sa famille, lointains, qui guerroient, massacrent et torturent au nom de leur puissance. Erzebeth a voulu être l’égale de l’homme y compris dans leur part de ténèbres.

 

Les hommes ne lui pardonneront pas et inventeront des mobiles superficiels aux actes d’Erzebeth, convaincus qu’une femme ne peut nuire à l’Humanité pour les mêmes motifs « élevés » qu’un homme.

Contrairement à la réalité historique, ici Erzebeth est emmurée avec une des ses servantes.

Chacune d’elle deviendra le miroir de l’autre jusqu’à douter de sa propre identité.

3) La piece

 

Je est un autre…

A RIMBAUD

 

C’est autour de cette figure mythique que se construit la pièce dans laquelle nous retrouvons emmurés, la Comtesse ( ELLE) et le personnage de L’AUTRE synthèse des complices féminins. Leur nuit est faite de nos peurs

Descente dans sa part la plus obscure dans un face à face, huit clos sartrien où l’identité de l’un se définit par l’autre. Univers becketien mélangé d’une touche d’Arrabal !

Quelles sont nos obsessions ? Lorsqu’on regarde au plus profond de soi qu’y découvre t’on ?

Mais la contemplation est un luxe, l’homme s’atteint dans sa solitude et nous sommes seuls et sans excuses. L’homme est la somme de ses entreprises. ELLE est elle la somme de ses crimes ? Toutefois dans un monde dominé par les hommes où seul l’homme s’autorise le crime de masse (la guerre) ELLE, ne fait-elle pas figure d’innovation dans l’égalité même devant le crime ! Tel un Sade qui va pousser à l’extrême, la négation du corps prôné par les religions, ELLE illustre la parité par la négation.

La vie n’a pas de sens, elle n’a que le sens que l’on se choisit. ELLE a choisi !

Mais comme le dit Sartre en se choisissant on choisit les autres. L’AUTRE est là, présent, rappel de la course d’ELLE vers son rêve d’éternelle jeunesse, de vie éternelle jusqu’à la dévoration de l’autre, à moins que se ne soit l’inverse ? Mais alors qui regarde qui ?

Un jeu de miroirs sans fin… L’autre est un je ou un jeu ?

 

 

 

4)La mise en scene

 

Un plateau nu, de grands miroirs sans tain laissant parfois échapper des reflets terribles pour jeu de cache-cache identitaire Apparitions fantômatiques, fugaces mais terribles.

Un très beau fauteuil marquant le lieu et rappelant le contexte et le travail de la lumière pour décor.

Le son rappelle les ambiances de films d’angoisse, voire d’épouvante et nous situe dans l’univers onirique des vampires.

Les costumes sont plutôt contemporains, de soirée, marquant la classe sociale. Quelques éléments rappelleront l’ancrage du début du17e siècle. Le chic et l’élégance seront anachroniques avec la situation des emmurées.

Le sang sera suggéré très souvent sans jamais tomber dans l’excès ou le mauvais goût.

 

Parfois certaines blessures demeurent enfouies, indicibles et pourtant organisatrices muettes de la nouvelle personnalité. Plus cette zone demeure mortifiée, cryptique, jamais élaborée, plus elle agit sans mot dire et freine le processus de guérison . la « crypte honteuse » enfouie dans le monde intime, agit selon les circonstances, mais chaque jour elle empoisonne le lien intersubjectif…

Le sentiment d’avoir fait du mal provoque des stratégies de rédemption, d’expiation ou d’autopunition… B Cyrulnik

 

Prédominance du noir du blanc et du rouge dans le traitement des couleurs. Comme une œuvre alchimique faite du sang des autres.




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